50 petites choses à savoir sur «Columbo», dont le premier épisode il y a plus de 55 ans
Des acteurs qui ont interprété le lieutenant Columbo à l’épisode jamais tourné de Brian de Palma, en passant par les lectures marxiste et lacanienne de la série et, bien sûr, la vérité sur Madame Columbo.
1. Le premier épisode de Columbo avec Peter Falk dans le rôle-titre a été diffusé il y a cinquante ans sur NBC, le 20 février 1968 donc. Mais le personnage de Columbo est nettement plus ancien. Les deux scénaristes William Link et Richard Levinson le font apparaître pour la première fois en 1960 dans l’émission The Chevy Mystery Show sur NBC, sous les traits de Bert Freed, un habitué des films noirs, carrure d’homme de main.
Bert Freed dans «Detective Story» (Paramount, 1951).
2. L’origine du nom de Columbo (avec un «u» et non un «o», merci) demeure mystérieuse. Le seul survivant du duo, William Link, ne s’en souvient pas.
3. Dans la série, le lieutenant refuse de dire son prénom, demandant qu’on l’appelle «lieutenant».
4… mais dans un épisode, on peut lire le prénom «Frank» sur son badge de policier.
5. Le personnage de Columbo est inspiré d’un personnage du roman de Dostoïevski Crime et Châtiment, en l’occurrence le procureur Porphyre Petrovitch.
6. En 1962, Link et Levinson adaptent leur scénario de 1960 pour le théâtre, avec le vieillissant Thomas Mitchell (qui mourra la même année) dans le rôle du policier. On ne connaît qu’une photo (de piètre qualité) de cette pièce, prise pendant les répétitions. L’assassin y était joué par la star Joseph Cotten.
7. C’est donc le 20 février 1968 que Columbo apparaît à la télévision américaine sous les traits de Peter Falk, dans Prescription : Murder (Inculpé de meurtre), adaptation en téléfilm de la pièce de 1962 dont l’action a été transférée de New York à Los Angeles.
8. Même s’il est censé être un téléfilm sans suite, Inculpé de meurtre deviendra de fait le premier de 69 épisodes, dont le dernier, Columbo mène la danse, date de 2003. Il ne sera décidé d’en faire une série (ou, plus précisément, une collection de téléfilms indépendants les uns des autres) qu’en 1971.
9. Los Angeles demeurera la ville où se déroule la série, à l’exception de quelques épisodes, dont le très discutable SOS Scotland Yard (1972).
10. Dès le départ, le principe est posé : on assiste au meurtre au début, et le suspense réside dans la méthode avec laquelle Columbo va coincer le coupable.
11. Columbo n’est d’ailleurs pas le personnage principal. Dans le premier épisode, il n’apparaît qu’au bout de trente minutes. De fait, les vrais «héros» de Columbo sont les meurtriers, régulièrement incarnés par des «guest stars» de renom (Johnny Cash, Ray Milland, Faye Dunaway, Donald Pleasence…). Voici une vidéo qui en a retenu quelques autres.
12. Le premier épisode officiel de Columbo est en fait le troisième, après le téléfilm de 1968 et un pilote. Intitulé Murder By The Book, il est réalisé en 1971 par le jeune Steven Spielberg.
13. Parmi les réalisateurs notables à qui l’on doit des Columbo, outre Spielberg, Jonathan Demme a réalisé le très bon Murder Under Glass (1978) et Ted Post a réalisé deux épisodes un peu à part, A Case of Immunity (1975) et A Matter of Honor (1976).
14. Relevons en passant que dans A Case of Immunity figure, dans le rôle d’un étudiant contestataire, un jeune acteur nommé Jeff Goldblum (cliquez donc).
15. Revenons à Murder By The Book, le faux épisode 1-vrai épisode 3 (merci de suivre). Dans cet épisode, l’assassin est joué par Jack Cassidy, qui incarnera encore des meurtriers à deux reprises, et aurait sans doute pu continuer s’il n’était mort en 1976.
16. Mais le recordman du genre est Patrick McGoohan, sommet de froideur hautaine mâtinée pourtant d’une certaine sympathie dans quatre épisodes, répartis de 1974 à 1998.
17. Très bon ami de Peter Falk, Patrick McGoohan a par ailleurs réalisé cinq épisodes.
19. Une rumeur tenace veut que Peter Falk et John Cassavetes auraient eux-mêmes réalisé cet épisode, alors que c’est Nicholas Colasanto qui est crédité. Admettons ici que l’on ne sait pas ce qu’il en est, et regardons un extrait (non sous-titré en français, hélas).
20. On retrouve des proches de Falk et Cassavetes dans d’autres épisodes : Gena Rowlands apparaît dans Playback et Ben Gazzara a réalisé deux épisodes, dont le sensationnel A Friend in Deed (1974).
21. Pourquoi cet épisode est-il sensationnel ? Parce que l’un des deux coupables à qui Columbo a affaire n’est autre qu’un de ses supérieurs hiérarchiques les plus puissants, et qu’il est particulièrement retors.
22. L’une des particularités de Columbo est que les assassins naviguent toujours dans les hautes sphères économiques et culturelles de Los Angeles. La série est d’ailleurs régulièrement interprétée comme marxiste (sur ce sujet, lire, de Lilian Mathieu : Columbo, la lutte des classes ce soir à la télé, éd. Textuel).
23. Pour autant, ni ses auteurs ni Peter Falk n’ont revendiqué des intentions politiques. Ils se sont bornés à défendre le fait que des scénarios à la «David contre Goliath» sont toujours efficaces.
24. L’une des méthodes de Columbo est d’insister sur le fait qu’il est un simple fonctionnaire de police au salaire médiocre (11 000 dollars par an, dit-il dans Etude In Black, voir la vidéo un peu plus haut) et à la vie banale, d’où sa vieille voiture naze (une Peugeot 403 choisie par Falk) et son imper froissé (issu de la garde-robe de Falk). Il flatte leur sentiment de supériorité pour les pousser à se confesser à leur insu. Le jeu psychologique à l’œuvre dans Columbo a intéressé jusqu’au philosophe Slavoj Žižek, qui l’a évoqué dans un article consacré à Lacan (ici en anglais).
25. Columbo cultive une maladresse naturelle, peut-être partagée avec son interprète. Dans l’épisode The Greenhouse Jungle (1972), la chute de Columbo le long d’une colline n’est pas simulée.
26. Peter Falk ayant perdu un œil à l’âge de 3 ans, il a aussi éborgné Columbo, qui fait de temps à autre référence au fait qu’il ne voit que d’un œil.
27. Le chien de Columbo s’appelle «le chien».
28. A propos de sa femme : d’aucuns pensent qu’elle n’existe pas. Certes, on ne la voit jamais…
29… mais dans plusieurs épisodes (par exemple, Troubled Waters en 1975), des gens affirment à Columbo qu’ils l’ont croisée.
30. Un épisode entier tourne autour de Madame Columbo, en arrivant à ne jamais la montrer : Rest in Peace, Mrs. Columbo (1989).
31. Après que Peter Falk a arrêté une première fois la série en 1978, essentiellement pour des raisons financières, NBC a cru bon de lancer une série intitulée Mrs. Columbo l’année suivante.
32. Madame Columbo s’y retrouvait à mener des enquêtes, alors qu’on peut être certain que ce n’était pas son activité quand Columbo parlait d’elle.
33. Elle était incarnée par Kate Mulgrew, vue ensuite dans Star Trek : Voyager et Orange Is The New Black.
34. Mrs. Columbo a duré deux saisons de 14 épisodes au total, après avoir été renommée et avoir fait divorcer le personnage principal. Oublions cela et faisons comme si ça n’avait jamais existé.
35. Peter Falk a repris la série en 1989, sur ABC.
36. Il est permis de penser que le Columbo seconde période est moins bon que celui première période : Peter Falk s’y laisse parfois aller au cabotinage et certains épisodes se perdent en voulant changer les codes de la série.
37. C’est le cas par exemple de No Time To Die (1991), épisode sans meurtre où la nièce de Columbo est kidnappée, et de Undercover (1994). Dans les deux, le coupable n’est pas connu au départ.
38. L’un d’eux, No Time To Die, est également le seul épisode où l’on voit Columbo dégainer une arme, alors qu’il affirmait ne jamais en porter.
39. Columbo est en effet un policier très pacifique, qui ne s’énerve que rarement. Il n’y a guère que dans A Stitch In Crime (1973) qu’on le voit sortir de ses gonds face à un Leonard Nimoy qui le met au défi de prouver sa culpabilité (à 2 minutes dans la vidéo ci-dessous).
40. Plus souvent, Columbo entretient des relations respectueuses, voire carrément amicales avec les meurtriers avant de les coffrer. L’un des plus beaux épisodes est Any Old Port in a Storm (1973), où il trinque avec l’amoureux du vin incarné par Donald Pleasence avant de l’emmener au poste.
41. Il lui arrive même de laisser volontairement filer l’assassin, ou plutôt l’assassine : dans Forgotten Lady (1975), la meurtrière incarnée par Janet Leigh est une ancienne star de cinéma atteinte d’une tumeur au cerveau, qui a oublié jusqu’au meurtre qu’elle a commis. Dans It’s all in the game (1993), à moitié gaga de Faye Dunaway, il laisse filer la complice de celle-ci à sa demande.
42. Les meurtriers de Columbo se distinguent souvent par la grande rigueur dont ils font preuve dans les préparatifs de leur meurtre, où tout est parfait à un petit détail près. Parmi les meilleurs exemples, signalons l’emploi d’images subliminales dans Double Exposure (1973), le recours à deux dobermans nommés Laurel et Hardy qui se mettent à attaquer en entendant le mot «Rosebud» dans How to Dial a Murder (1978), un canon piégé dans By Dawn’s Early Light (1974)…
43. Les meurtres reposent souvent sur des nouvelles technologies, que Columbo découvre à cette occasion. La série s’est appuyée sur l’apparition du répondeur téléphonique puis du fax, sur le développement des ordinateurs, sur la vidéosurveillance…
44. En France, la série a inspiré un meurtre commis en 1995. Les assassins ont repris, dans l’épisode An Exercise in Fatality (1974), l’idée de lâcher un haltère sur leur victime endormie pour faire croire à un accident survenu au cours d’un exercice physique. Libération en avait parlé.
45. Au total, Columbo a permis à Peter Falk de remporter quatre Emmys du meilleur acteur. Voici le discours qu’il a donné en recevant le premier, en 1972.
46. Le personnage continue à vivre à travers ses multiples rediffusions. En France, TF1 détient les droits de diffusions et les exploite abondamment sur TMC et TV Breizh.
47. La pièce Prescription : Murder est encore régulièrement jouée. En France, Martin Lamotte a endossé le rôle de Columbo en 2016.
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48. Certains fans aimeraient voir revenir le personnage à la télévision. L’acteur qui s’impose le plus naturellement aux yeux de tout le monde est Mark Ruffalo, surtout depuis Zodiac – son personnage partageait d’étonnantes similitudes physiques avec Columbo.
Zodiac, de David Fincher (Warner Bros).
49. En 2015, le scénariste Gary Whitta (qui a travaillé sur Star Wars : Rogue One) et le réalisateur Josh Trank (Chronicle) ne cachaient pas leur envie d’un reboot de Columbo, avec Ruffalo, qui se disait plutôt partant. Mais depuis, rien de neuf.
50. En attendant, on se contentera de rêver sur les épisodes qui n’existent pas, comme celui qu’aurait soumis Brian de Palma en 1973, et qui aurait pu être formidable. Le futur réalisateur de Blow Out aurait coécrit le scénario de cet épisode intitulé Shooting Script avec le journaliste de Time Jay Cocks, selon le site Columbophile. Le pitch est complètement de Palmesque : le meurtrier aurait été un documentariste filmant son meurtre, puis gardant cette preuve en évidence sous le nez de Columbo pendant tout l’épisode.
51. Ah, et une toute dernière petite chose, qu’on avait oubliée et que des lecteurs nous ont signalée (à juste titre) : en France, le succès de Columbo doit sans doute beaucoup à ses doublages, et en particulier celui du lieutenant, assuré par Serge Sauvion (1929-2010).
Remerciement pour cet article écrit par Frantz Durupt du journal Libération et publié le 20 février 2018 à 13h28